Entre 2018 et 2022, Alexandra Pech a réalisé une thèse de doctorat en géographie sur l’éducation alimentaire dans les collèges en France et Mexique, à partir d’une enquête dans des collèges impliqués dans le Réseau Marguerite. Cette thèse interroge la manière dont les enseignant.es et l’ensemble du personnel scolaire sensibilisent les élèves aux enjeux liés à l’alimentation, et comment les élèves reçoivent cette éducation. Alexandra nous présente ici sa recherche.
Réseau Marguerite : Pourquoi t’être intéressée à l’éducation alimentaire dans les collèges et que cherchais-tu à comprendre ?
Alexandra Pech : Je m’intéresse aux enjeux liés à l’alimentation depuis des années. Au cours de mon master en anthropologie en 2017, j’ai eu l’opportunité d’aller en Équateur pour étudier les changements de pratiques alimentaires dans un contexte d’urbanisation rapide. Au terme de ce master, j’avais très envie de continuer à mener des recherches autour de l’alimentation mais cette fois en France. Le point de départ de ma thèse a été la rencontre avec Julie Le Gall, chercheuse en géographie et co-fondatrice du Réseau Marguerite, qui est devenue l’une de mes encadrantes de thèse. Ensemble, nous avons construit un projet de recherche centré sur l’étude des représentations des adolescent.es autour de l’alimentation et de l’agriculture, en lien avec les enjeux du Réseau Marguerite.
Mais, comme souvent au cours des thèses, mon objet de recherche a évolué au fur et à mesure de mes lectures et de mes premiers échanges avec les personnes sur le terrain. Je me suis centrée sur l’éducation alimentaire en milieu scolaire plutôt que sur les élèves. L’enjeu de ma recherche était de mettre en évidence d’éventuels décalages entre les recommandations officielles autour de l’éducation alimentaire au collège, les pratiques du personnel scolaire et la réception qu’en font les élèves.
Réseau Marguerite : Pourquoi avoir choisi de t’intéresser à l’éducation alimentaire dans deux pays, en France et au Mexique ?
Alexandra Pech : Je trouvais intéressant de comparer la manière dont la question de l’éducation alimentaire des adolescent.es était traitée dans deux pays très différents sur le plan
économique et sanitaire. Le cas du Mexique est d’autant plus intéressant qu’il occupe le premier rang mondial en matière d’obésité infantile, et que cette problématique tient une place très importante dans les politiques publiques en matière d’éducation alimentaire.
Réseau Marguerite : Qu’est-ce que tu entends par « éducation alimentaire » ?
Alexandra Pech : En parlant d’« éducation alimentaire » dans ma thèse, je fais non seulement référence aux textes officiels de recommandation émis par l’Éducation nationale à ce sujet, mais plus généralement à l’ensemble des actions que le personnel scolaire met en place pour éduquer et sensibiliser les élèves à l’alimentation, en incluant la restauration scolaire. Je me suis intéressée aux activités en classe autour de l’alimentation mais également à des actions informelles telles qu’un goûter en classe ou aux interactions entre équipe de cantine et élèves au cours du repas à la cantine.
Réseau Marguerite : Peux-tu nous en dire plus sur les établissements scolaires dans lesquels tu as enquêté ?
Alexandra Pech : Pour mes études de cas, j’ai choisi deux établissements scolaires de milieux sociaux et géographiques contrastés en France : un collège de banlieue lyonnaise situé dans un quartier défavorisé sur le plan socio-économique et un collège qui se trouve à environ 50 kilomètres de Lyon en milieu péri-urbain dans un contexte socio-économique plus mixte. J’ai également choisi ces établissements, car ils étaient liés au Réseau Marguerite, ce qui constituait une excellente opportunité d’observer des initiatives originales autour de l’éducation à l’alimentation, et que des enseignantes du Réseau m’ont ouvert les portes de leurs classes. Pour mon terrain au Mexique, j’ai eu l’opportunité d’être accueillie dans un collège de Mexico par des enseignantes qui travaillaient également en lien avec le Réseau Marguerite. Contrairement aux deux collèges français, il s’agissait d’un établissement privé qui accueille des élèves pour la plupart issus d’un milieu très privilégié.
Réseau Marguerite : Concrètement, comment s’est déroulée ta collecte de données dans les établissements scolaires ?
Alexandra Pech : Pour recueillir des données, j’ai été présente pendant plusieurs mois en discontinu dans les trois collèges que j’ai étudiés. L’idée était de m’immerger dans la vie de l’établissement et de participer à différentes activités où il était question de près ou de loin d’alimentation : cours en classe, repas à la cantine, atelier potager ou encore goûter en classe ou lors de sorties. Passer du temps en classe avec les élèves m’a également permis d’apprendre à mieux les connaître et de gagner leur confiance, ce qui était fondamental pour pouvoir leur poser des questions autour de leur rapport à l’alimentation. J’ai en effet réalisé des entretiens avec de nombreuses personnes au sein des établissements afin de mieux comprendre quelles étaient leurs représentations et pratiques de l’éducation à l’alimentation : élèves, enseignant.es, chef.fe d’établissement, personnel de cantine, infirmière et surveillant.es notamment.
Ateliers de collecte de données avec des élèves de 5ème dans les deux collèges français étudiés : en haut, les élèves réalisent une carte sensible à partir de leurs observations de l’environnement alimentaire de leur collège. En bas, deux élèves commentent des photos des espaces liés à l’éducation à l’alimentation dans leur collège (photos : Alexandra Pech)
Réseau Marguerite : Quelles différences as-tu pu observer entre la France et le Mexique dans la mise en pratique d’une éducation alimentaire au sein des établissements que tu as étudiés ?
Alexandra Pech : Comme je l’ai dit plus haut, le Mexique est fortement concerné par une problématique d’obésité infantile et la lutte contre l’obésité est donc au cœur des préoccupations en matière d’éducation alimentaire. Cependant, j’ai pu observer un très fort décalage entre ce souci de lutte contre l’obésité et la réalité de l’alimentation qui est proposée aux élèves dans les établissements scolaires. Par exemple, dans le collège que j’ai étudié à Mexico, la nourriture vendue dans la cafétéria était en grande majorité composée de produits très sucrés, salés et gras. Alors que la direction du collège se disait très soucieuse de la santé des élèves, il semblait difficile pour elle d’opter pour un modèle de restauration scolaire plus sain, surtout pour des raisons financières.
Réseau Marguerite : Quelles différences as-tu pu observer en matière d’éducation alimentaire entre les deux collèges français que tu as étudiés ?
Alexandra Pech : Mes observations montrent l’importance du milieu socio-culturel des élèves dans la manière dont ces derniers reçoivent l’éducation alimentaire. En particulier, les élèves de milieux populaires et à forte mixité culturelle interrogés lors de ma recherche sont généralement plus distants que les élèves de milieu favorisé à l’égard de la restauration scolaire et des messages de l’éducation à l’alimentation. Du côté des enseignant.es que j’ai interrogé.es, j’ai également pu constater qu’ils sont nombreux à estimer qu’il est plus difficile d’atteindre les élèves issus de milieux socialement défavorisés et à forte mixité culturelle, précisément pour la raison que je viens de mentionner. Je pense que c’est précisément une des forces du Réseau Marguerite que de s’appuyer sur le vécu des élèves et sur leurs représentations autour de l’alimentation afin de concevoir des projets pédagogiques au plus près de la réalité des élèves et en faveur de plus de justice alimentaire.
Les pratiques alimentaires des élèves au sein et autour du collège sont également révélatrices des inégalités socio-spatiales qui existent entre les établissements scolaires. Le collège situé dans un quartier défavorisé de la banlieue lyonnaise est entouré de plusieurs fast-foods. Lorsque j’ai interrogé des élèves de 5ème sur leurs habitudes alimentaires, les élèves du collège de ce collège près de Lyon étaient deux fois plus nombreux que les élèves de l’autre collège, plus favorisé, à déclarer faire des achats alimentaires sur le chemin du collège au moins une fois par semaine, ce qui peut générer des inégalités de santé entre les élèves.
Je tiens à remercier tous les enseignants et enseignantes du Réseau Marguerite qui m’ont accueillie dans leur classe et qui ont répondu à mes questions dans le cadre de cette recherche !
Lien de la thèse « Au-delà de la cantine et du potager : ressources et freins à une éducation alimentaire des adolescent.es au collège. Étude du foodscape de trois collèges (France, Mexique) », ENS de Lyon, (2022) : https://theses.hal.science/tel-04063744
Lien de l’article « Regards croisés sur l’éducation alimentaire à l’École » de PECH Alexandra ; LEBREDONCHEL Louis ; FARDET Anthony, dans la revue Education, Santé, Sociétés, Vol. 9, No. 2. (2023) : https://educationsantesocietes.net/articles/7724